OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

28.8.11

En bouquinant

Pour En vos mots :
Tableau par Ciro d'Alessio


Les livres égalitaires
Contiennent tout pour plaire.
Des larmes, Des pleurs,
De gros malheurs :
Banaux. Extraordinaires.

Les jeunes, les vieux,
Les entre-les-deux,
Tous y trouvent leur joie,
Des faucons guettant la proie.
Aux quais, ils sont heureux.

21.8.11

ROMAN-PHOTO

Pour En vos mots :

Tableau par Pascal Chove


Ses mots faisaient vivre le jeune couple, plein de fougue.
Ses mots, tactiles, dansaient une invitation au voyage, à l'aventure.

De loin, elle entendait un cri d'amour.
Le petit film passait dans sa tête.

De près, l'autre attendait de l'émouvoir comme a fait l'auteur.

Il savait qu'il n'était pas le premier.
Il savait qu'il avait des concurrents.

Sa souplesse de femme soupirait sous ses caresses affamées.
Son corps était là, mais elle, elle était ailleurs.

18.8.11

PRIME


The Night Window par Edward Hopper, 1928.
Moi, c’est Vic le Voyeur. Non, ce n’est pas mon vrai nom. Mais il suffira.
Mon métier ? Jeter un regard furtif par les fenêtres où l’on oublia de fermer les volets. Stocker les renseignements et les revendre au soumissionnaire le plus offrant. 
Ma liste de clients vous étonnerait. Pour la plupart, ce fut des frustrés et des vieilles filles qui vivaient par procuration, parfois le mari jaloux ou la fiancée trahie, mais j’eus aussi des PDG, des écrivains, des curés.
Un de mes clients en particulier, je l’aimais bien. C’était un artiste. Il s’appelait Hop. Je sais que c’était un pseudo, mais peu importe. Il payait bien. Et toujours à l’avance.
Si je repérais une nue, j’avais droit à une prime. Pour les blondes, il payait double. Il aimait bien les scènes d’hôtel. Mais là, c’était plus compliqué. Les femmes voyageant seules, c’était rare à l’époque.
Or, une nuit, je tirai le gros lot. Pignon sur rue. Trois fenêtres grandes ouvertes, une lumière de résurrection rayonnant de l’intérieur. Une petite blonde fraîchement sortie de la douche, nue comme un ver dans la pomme du jardin d’Éden.  Canon. Carrément canon.
D’une cabine en face, je téléphonai à Hop. Lui peignait un truc louche – un petit comptoir à New York où un mec et une fille prenait un café. Il laissa tomber les pinceaux, me dit qu’il y serait en trois minutes.
J’attendai.
Entretemps, la nénette s’habilla d’une serviette rouge et s’occupa à ranger ses affaires.
Hop arriva juste quand elle présentait ses fesses à la fenêtre.
Et alors, pas de bol, je n’eus pas ma prime.
Ce serait pour une autre fois.

16.8.11

BONHEUR

Pour Un mot. Une image. Une citation. :

Mimi attendait debout sur le quai.
L'annonce quotidienne résonnait du haut-parleur :
Vivre est un bonheur.
On vous répète : Vivre est un bonheur.
Mimi n'osait pas bouger.
-Vivre est un bonheur, dit l'homme qui attendait derrière elle.
-Vivre est un bonheur, répéta la jeune mère à l'enfant dans ses bras.
-Vivre est un bonheur, hurla un jeune en perfecto.
Mimi se tint très tranquille.
Elle bougea ses lèvres afin qu'on pense qu'elle répétait.
C'était la loi.
On punissait sévèrement les infractions.
On vous mettait dans une cage.
On vous privait de protéine.
On vous faisait une petite intervention, comme on disait.
De loin, elle entendait un grincement creux.
Le métro s'approchait.
Il s'arrêta devant elle.
Les portières s'ouvrirent.
- Vivre est un bonheur, rappelait la voix du haut-parleur.
- Vivre est un bonheur, disait chacun en descendant du wagon.
- Vivre est un bonheur, répondait chacun qui allait monter.
Mimi bougea ses lèvres.
Partout il y avait des caméras de surveillance.
C'était trop dangereux de faire autrement.
Elle monta dans le wagon.
- Vivre est un bonheur, prononça le monsieur assis en face d'elle.
Il ne lui proposa pas son siège, cela ne se faisait plus depuis longtemps.
Mimi bougea ses lèvres en réponse et enlaça le poteau.
Elle serait bientôt rentrée, et hors vue de la caméra, elle enfilerait enfin ses boules Quiès.
Ça aussi, c'était défendu, mais certains, dont Mimi, le risquaient encore.
- Le bonheur forcé est un cauchemar, se dit Mimi, tout bas. 
 
 

7.8.11

Que sais-je ?

Pour En vos mots :

Tableau par Sonia Kretschmar


Tout ce qu'il fallait savoir sur la sagesse se trouvait entre les couvertures de sa bio : secrets et chuchotements, la largesse de brûler en cachette, à savoir, con brio. Mais quand je me fis un prétexte pour enfin m'emparer de ce texte délirant, défendu, l'image de l'auteure me fit un grand CHUT !, à juste titre, et puis son portrait sur la couverture me mordit la main. Il me fallut des points de suture, le toubib me fit une piqûre pour que je ne me noie pas dans ma rage. Alors, je me rendis à la librairie pour me porter plainte, et la libraire, qui ressemblait étrangement à la photo mordante, me fixa les yeux, et me murmura, pour que personne à part moi ne l'entende : Pour vivre mieux, ma brave dame, il faut vivre en jaquette !  Je ne compris pas. Je le dis. Elle me regarda d'un air dédaigneux. Je savais qu'elle allait me dire encore de me taire. Ma main pulsa encore, quelques gouttes de sang tombèrent sur le comptoir. La libraire me sourit. Ça, c'est un début, me ricana-t-elle.

3.8.11

Ceci n'est pas une ampoule

Pour Mille et Une :

Par Magritte

Ceci n'est pas une ampoule.
Hélas, c'est bien ma pauvr' tête.
Mais mieux vaut ça qu'une pomme,
Pour plaire à tous les esthètes.

Très jeune, j'étais brillant

(Quand je n'étais pas allumé).
J'étais une vraie lumière,
La famille s'y est accoûtumée.

La nuit ou lors d'une panne

On me faisait souvent appel.
Je débrouillais le voisinage
Et l'on m'y a élu officiel.

Mais j'aime pas trop la politique.

Je voudrais une autre carrière.
Je vais alors faire des études
Je veux devenir lampadaire.