OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

31.12.10

Pas de pardon pour Billy le Kid

D'après la légende, 
il a abattu 21 personnes, 
mais la réalité serait 
plus modeste, 
seulement entre quatre 
et neuf meurtres,
le premier 
quand il avait dix-huit ans...
Le bruit courait fort 
ces derniers jours 
que le gouverneur démissionnant 
du Nouveau Mexique 
le pardonnerait 
comme son dernier acte, 
ce qu'il n'a pas fait.
Pauvre Billy le Kid ! 
Si mal compris !
Et si mort 
ces cent 
vingt-neuf ans 
derniers.

30.12.10

Sci-fi en noir et blanc, 1957

Sci-fi en noir et blanc
La bathyscaphe se lâche
et glou et glou et glou et glou
Deux hommes, deux femmes
Des amalgames
et glou et glou et glou et glou
Mais ils nagent
À une plage souterraine
Mais la caverne leur cache
Un Français meurtrier
et glou et glou et glou et glou
C'est le père de Kung Fu
glou glou
À la rescousse avec sa mâchoire
Carrée comme un paquet de Gaulois
Sa voix assortie à leur fumée de gloire
glou
Et des sourcils juste un peu moins sauvages
Que ceux du Français meurtrier
gulp!
Qui s'empare de la méchante -
Mais c'est la gentille blonde
À la rescousse, et tout le monde
Est sauvé, 
Sauf
Le Français meurtrier
Qui meurt dans le volcan
Souterrain
et glou et glou et glou et glou

The End 



29.12.10

Familiale

Le deuxième frère aîné
(Plus sadique que le premier)
Fêtera bien la soixantaine
Entouré par tous sauf la haine
De celle qu'il savait torturer
Si bien dans son petit passé.

28.12.10

Maria Martins

En principe, juste une note
En bas de la page,
C'est cette Brésilienne
Qui a appris, trop tard,
À l'artiste comment aimer.
Étant donné, donnée, donnés
(personne ne sait orthographier)
D'elle-même
Une déesse, une femme,
Les pieds de bronze ancrés
Par le serpent,
Mais sa tête - deux ailes -
En haut,
Prête à s'envoler
Comme ça.
Le meilleur artiste
N'était pas celui
Qu'elle a enfin abandonné.

27.12.10

Vitaminé

vitaminé
contaminé
par le con qui vit
miné, ah 
les mots
motivés
escamotés
motus
rançonnés
sonnés
nés
vitaminés
A, C, B, D
assez assez
vitaminés

26.12.10

Boxing Day

C'est le jour où tu emballes un bout
De ta richesse
Dans une belle boîte
Que tu portes avec autant d'ostentation
Que tu peux
Pour laisser devant la porte
De quelqu'un d'autre
Qui, sans ton cadeau,
N'aurait pas su qu'il était pauvre.

25.12.10

Bêtise

Les sages le cherchent encore. Les aveugles aussi.
Les flâneurs, les douteurs, les imbéciles,
Les cons, les bons, et les truands,
Tous ceux qui ne savent toujours pas 
Que le vrai miracle
Se trouve en chacun de nous.

24.12.10

Cet objet obscur de mon désir...

Je convoîtais ces bottes.
Elles étaient noires, faites de cuir.
Elles brillaient chic.
Mes propres bottes étaient des vieilles.
Faites de caoutchouc, avec des hauts bordés d'une triste fourrure ridicule, et des fermières à glissage grossières et lourdes.
Indestructibles.
Pragmatiques.
Et laides comme pas possible.
Des bottes de vieille femme, quoi.
La sorte qui fait rire des filles qui ne sont pas vraiment tes copines.
Ce jour de Noël, je ne me souviens pas de ce que j'ai eu comme cadeau.
Mais je me rappelle encore mon dépit et la honte qui m'attendait encore à côté de la porte.

23.12.10

Champignon-sur-rue

Ne sous-estimons pas l'importance de la pourriture. Sans moisissure, le penicillium n'existerait pas.

22.12.10

Réveillon

-Regarde, me dit-il et je vis dans sa paume un bout de pain desséché.
Ses yeux luisaient dans le noir.
Je ne sais pas quel prix il l'avait payé et je n'osais pas demander.
Mais j'admirais.
- Bravo, mon chéri. Allez, croque-le, mais doucement, cela te fera plus plaisir si tu le savoures.
- Savoures, maman ?
- Cela veut dire que tu prendras ton temps à le manger, pour prolonger le plaisir.
- Tu n'en veux pas ?
Ses yeux portaient un faux espoir que je n'osais pas decevoir.
- Ce que je veux, mon enfant, c'est que tu manges ton pain.
Il ne dit pas merci, mais commença à grignoter. Je vis que ses mains bleues du froid tremblaient encore.
Ce n'était pas facile, mon estomac creux menaçait de m'étrangler, mais je me retins.
Le petit prit cinq minutes entières à mastiquer son morceau.
Et puis, il n'y en avait plus.
- Qu'est-ce que je suis fière de toi, mon amour, lui fis-je. Tu as croqué dedans comme un vrai homme.
Il me sourit vaguement, et prit, pour la première fois sans demander, toute la couverture pour lui-même.

21.12.10

Je voudrais bien écrire quelque chose de drôle...

haha ?
bah !
hihi ?
bleauh !
hoho ?
bof !
huhu
breuh !
heuheu ?
beu !
beuheuheu !
beuheuheuheuheu !
tiens,
c'est drôle, ça...

20.12.10

Mal lunée

À quoi ça sert de s'éclipser dans l'anonymat,
Faire sa belle danse de voiles pour personne ?
Comment faisais-tu avant l'arrivée des hommes,
Quand il n'y avait personne pour t'admirer, te convoîter ?
Et comment te portes-tu maintenant qu'on t'abandonne,
Personne ne t'aborde, personne ne t'envoie ses missiles
D'amour cupide ?  Comment tu fais, maintenant ?

19.12.10

Molly Pitcher, où es-tu passée ?

Image de Wikimedia Commons, gravure de Molly Pitcher
On n'en parle pas souvent, de ces femmes qui restent à l'arrière-plan, celles qui lavent, et pansent, et apportent de l'eau quand ceux à la une ont soif. On leur laissera charger les canons, mais ce ne seront jamais elles qui gagnent la bataille. Les médailles seront pour des autres. Après la guerre, elles ne seront jamais les vraies amies, celles auxquels on offre des cadeaux, jamais de vraies amantes qu'on recouvre de diamants. Elles ne seront jamais qu'une arrière-pensée ci ou là, juste des oiseaux qu'on daigne arroser de miettes lorsqu'on a bien dîné. Tôt ou tard, elles repartiront encore anonymes, dans la poussière, mourantes elles-mêmes de soif.

18.12.10

Pouce

Les indéfatigables sont juste ceux qui cachent mieux leur fatigue que ceux qui ne font que s'en plaindre.

17.12.10

Renommée

Pencher la tête,
Courber le dos,
Devenir toute ronde, toute petite,
Rétrécie,
Passer pour un caillou,
Un parmi des milliards,
Dur mais insignifiant,
Finir comme un noeud
Indigeste
Dans le gésier
D'un oiseau extinct

16.12.10

Mille et mille et mille

Sur le lac, tout à l'heure, mille et mille et mille oies,
Noires contre le blanc de la glace, flottant comme des bouchons
Sur l'eau ouverte, attendant que le soleil se couche derrière les arbres,
Que les véhicules ne passent plus, conduits par ces curieux
Qui n'ont que deux pattes et aucune plume.

Demain, il y aura encore mille et mille et mille miles à voler,
Battant les ailes sans cesse, sans hésitation, suivant ce guide
Invisible qui les rappelle à venir, partir, revenir, repartir,
Mille et mille et mille fois encore, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus.

15.12.10

Inutile

Avoir peur de la mort me semble si inutile. C'est comme avoir peur du soleil qui se couche. - Patrick Hicks, "Living With the Dead"

Tant de choses inutiles dans ce bas monde,
Comme lorsqu'on sourit aux aveugles
Et quand on chante aux sourds.

Les heures qu'on passe devant le miroir
À attendre une beauté qui te boude,
L'épingle de sûreté qui doit tenir 
Tout le poids d'un pan lourd et irraisonnable.

Le tissu à carreaux,
Le rouge à lèvres rose clair,
Les freins sur une route glacée,

Inutiles et dangereux
Comme le faux espoir
Qui te fait dire qu'il y aura le temps
Tout en sachant qu'il n'y en aura plus.

Les souvenirs, les scrapbooks,
Les idées que tu griffonnes dans un cahier
Que tu oublies sur un banc dans le parc,
Qui ronronne et se feuillette dans la brise
Et qui servira à protéger un pantalon
Des fientes laissées par des moineaux.

14.12.10

Comme un mardi

Tu feras comme un mardi
Oublié entre le début et la fin
Plus relaxe que ton antécédent
Moins moyen que celui qui te suivra
Tu seras comme un mardi
Nommé pour la guerre
Tu repartiras dans les colonnes
Des soldats tous comme toi
Le bouclier un peu sali
Mais qui servira encore
Si tu n'oublies pas de le garder
Entre toi et l'assaut.
Et si tu survis
Ta voix s'élevera
Parmi les autres,
Rauque et indistincte.
Et si tu meurs
Tu gémiras seul
Dans le sang et les larmes,
Bientôt oublié.

13.12.10

Oraison

Jamais don
Sans chardon
Jamais coeur
Sans rancoeur
Jamais Dieu
Sans toi.

12.12.10

Prière impénitente

Notre père qui es aux cieux, comment tu vas ces jours-ci ? 
On a beau le nier, mais tu commences à puer des pieds, côté miracles. 
Quand es-tu devenu si pingre ? Et nul ? Car souvent ce que tu fais est carrément dégueu- 
qu'est-ce que ces gens t'ont fait que tu veuilles leur foutre la guerre, la famine, le viol, les verrues, hein ?  Toi, faut le dire, franchement, tu te la coules un peu trop douce ces jours-ci. 
Je te trouve plus qu'un peu gonflé...pourquoi veux-tu toujours tout le crédit 
pour les bonnes choses et jamais pour les bavures ? Surtout celles qu'on commet en ton nom ? 
Perso, ce que tu fais, je te jure, j'étais toi, je ne serais pas trop fière ! T'as pas honte, des fois ? 
Bon, oui, je sais...parle aux mains car la tête ne m'écoute pas. 
Je sais que je ne t'apprends rien, Seigneur. Chuis pas la première ni serai la dernière à te traiter de con. Porte-toi bien - non - fais-toi soigner si tu peux, hein ? 
 Et à la prochaine. Mais ce ne sera pas pour demain.
Amen.

11.12.10

Touriste

Je n'irai jamais visiter ta tombe.
Ce serait comme visiter un pays
Où toutes les femmes se voilent.
Elle restera alors comme cela
Dans un guide Michelin affectif :
Un monument à trois coeurs,
Un manquement à ne pas manquer,
Un obus raté d'une autre ère
Qui n'attend qu'à s'éclater.

10.12.10

Stollen

Une congère de pain
Et raisins
Solide, et si tu mords
Dedans, tu te dis
Que l'hiver sera long
Comme le beurre

9.12.10

la 238

trois cent soixante-cinq jours par an
alala se lève dans le chaud ou le froid
prend son grand panier de linge
et s'en va dans le noir vers Paris
trois cent soixante-cinq jours par an
fériés, grévés, sinistrés, ordinaires,
autant que le sang circule encore
dans ses veines
alala arrive au fond de la cour
et entre à l'hôtel par la porte d'en bas
elle prépare le café, range la confiture,
les croissants, dit bonjour au patron
s'il passe
le service commence à six heures
mais les affamés à six heures sont rares
quelques touristes allemands, ponctuels
les hommes d'affaires arriveront vers sept
heures, pas les gros pistonnés,
des japonais en difficulté,
et surtout, tous des visages blancs, l'un
ressemblant interminablement à l'autre
à dix heures, elle termine son service
et rejoint les autres à faire les chambres
elle aime bien la 238
parfois on lui laisse un pourboire
on, c'est la dame blonde qui l'appelle
Madame au service, qui dit merci,
celle-là qui pense
souvent à alala, sans qu'alala
ne pense jamais à elle.

8.12.10

La mauvaise poésie

La mauvaise poésie est comme l'enfant taré de la voisine. Celui qui vient hurler devant ta porte à cinq heures du matin parce que sa maman dort et il a faim. Alors, tu lui ouvres la porte, tu essaies de le calmer, tu l'assieds devant la télé avec un bol de céréales. Tu te fais un café, tu le bois, et quand il te semble une heure décente, tu ramènes le bambin chez la voisine qui est surtout fâchée que tu la réveilles à une heure indécente, et de voir que son lardon n'a pas été un cauchemar qu'elle a fait dans la nuit. Tu lui souris avec compassion, tu retournes dans ton apart', et le lendemain, vers cinq heures, tu attends qu'il revienne hurler devant ta porte.

7.12.10

au lit

on y laisse des traces :
comme des escargots qui passent
un oreiller mouillé de sueur
quelques fluides indiscrets
dans les draps
et, parfois, lorsqu'on est
très chanceux,
des miettes, des tas, des tas
des tas de miettes 
et une tache
de café

6.12.10

Pour nous tenir au chaud

 

Pour nous tenir au chaud,
À l'abri des morsures :
Un mot de tendresse,
Un sourire lointain,
L'étincelle dans les yeux
D'un vrai ami.

5.12.10

Collège, 1969

Il s'appelait Bill.

Il était moche. Il tenait un peu de Hitler sans les petites moustaches, parce qu'il n'avait que treize ans comme nous tous. Des cheveux noirs et trop gras. On voyait bien que Bill n'aimait pas le shampooing.

Ses vêtements lui allaient mal, comme s'ils avaient appartenu à quelqu'un d'autre. Le bas du pantalon un peu trop haut, les manches de la chemise un peu trop longues. Sa ceinture avait trop de trous au bout qui pendait, ridicule de sa taille. Le t-shirt un peu grisâtre autour du cou.

Il ne sentait pas mauvais, mais il y avait du noir sous ses ongles.

Non, sa famille n'était pas riche, mais il n'y avait pas de familles riches dans cette région rurale. Nous vivions tous plus ou moins du hasard. Mais la vie à cette époque était plus simple, les temps durs pas encore oubliés dans les familles qui ont connu la guerre, le manque, le sacrifice, et, enfin, certaines récompenses.

Cela dit, personne dans la classe ne voulait pas vraiment s'associer avec Bill.

C'était un gars qui avait des bords un peu pointus, il était dur à l'intérieur. Sans qu'on se le dise, nous étions sûrs que Bill savait taper. Personne n'avait envie de tester cette théorie.

Il savait très certainement répondre, même si l'école était encore, à cette époque-là, un lieu ou les grands savaient plus que les petits, et que l'on se taisait parce que c'était pour son propre bien.

Bill, ce malheureux, avait oublié un jour que madame R n'aimait pas qu'on mâchait du chewing à l'école.
Elle avait déjà expliqué à la classe qu'on ne disait "Hi" qu'aux vaches.
Personne n'osait dire "Hi" à madame R. Personne.
Les autre infractions plus sérieuses nous étaient aussi étrangères.

Et ce jour-là, un beau jour de printemps, Bill avait le malheur de mâcher du chewing aux cours.
Soit il avait oublié, soit il s'en fichait, soit c'était son seul petit déjeuner.
L'oeil rancunier de madame R a tout de suite repéré la contrabande dans la bouche de l'infortuné.

Calmement, elle a placé la poubelle devant le tableau noir.
Calmement, elle a demandé que Bill se place devant la poubelle.
Il allait devoir crâcher son chewing dans la poubelle.
Le spectacle serait son humiliation, cela suffirait.
Elle lui a dit de se pencher sur la poubelle.

Nous ses camarades de classe voyions ce que Bill ne voyait pas, penché devant la poubelle.

C'était madame R qui avait pris le mètre, qui s'approchait, calmement, et qui a frappé Bill aux fesses avec tellement de force que le bâton épais et rigide s'est fendu en éclats de la force de son coup.

Silence. Horreur. Silence.

La victoire était à Bill.

Il n'a pas crié.
Il n'avait pas le souffle coupé.
C'était lui qui a repris calmement sa place pendant que la prof, toute rouge, louchait, furieuse, et nous autres la regardaient, bouche bée.

***

Je ne sais pas ce qu'il est devenu, ce Bill.
Je ne sais pas s'il portait longtemps les traces de cette attaque vicieuse.
Mais nous, ses camarades de classe, si.
On a longtemps porté les nôtres.

Longtemps.

4.12.10

Mangeoire

Nourrir les oiseaux, cela devient une besogne, une responsabilité, une corvée inévitable, car les mangeoires vides, les oiseaux qui reviennent, qui semblent se demander où s'est passé ce petit coin du monde un peu  moins abusif que les autres, cela fait trop mal, on ressent le noeud dans la gorge, les larmes aux yeux, car ils n'ont pas demandé de naître oiseau dans un pays froidissime et cruel et qui exige un maximum d'énergie juste pour exister. Nourrir les oiseaux, c'est plus que de la charité, c'est un exercice d'humanité, oisellité, c'est le libre-échange qui marche comme il se le doit : sans pièges, sans cages, sans hésitation, sans remboursement affectif ou obligé.

3.12.10

Régime

On couve
On pond
On attend que son oeuf(vre)
Craque et/ou
Fasse craquer

On attend
Et on attend
Et perdant patience
On y laisse parfois des plumes

Poussin, poule
Suprèmes de volaille
À consommer
Ou à laisser
Dans l'assiette

Tant de végétariens
Tant d'anoréxie
Mais où sont les goinfres
D'antan ?

2.12.10

Laine

On peut tricoter toute sa vie sans jamais une seule fois penser aux sacrifices du mouton.

1.12.10

Encore un jour de silence

C'est le pouce de l'Empereur
Indiquant le sol au colisée,
Le marteau du magistrat,
La boîte à lettres tout à fait vide 
Le jour de la St-Valentin,
L'oasis empoisonnée
Que tu croises 
Mourant de soif.
C'est l'oreille bouchée
À l'atterrissage,
Le moment où tu tombes
Dans l'escalier et tu te rends compte
Enfin
Qu'il n'y aura plus de marches.

30.11.10

Stand-off

Là-haut, tout à fait au nord
Du Wisconsin, presqu'au Canada :

Une classe,
Une prof,
Un élève,
Deux pistolets.

Tous les GSM au milieu.
Trois tirs.

La police à la porte.

Une balle dans le crâne
Du malfrat.

Oui, mais lequel ?

29.11.10

Ablution

Une pluie, des larmes
De tendresse
Un bonjour chaleureux
Et savonneux
Réveillant, réconfortant
Sursurrant :

Ici, c'est doux, c'est propre
Ailleurs, non,
C'est sale et dur, 
Mais tu seras pardonnée
Et  tu reviendras
Et nous t'attendrons.

28.11.10

Miettes, dans mon latin de cuisine

Dulce et decorum est pro glaudia (bibi sum) mori.

Merci aux petits pains qui ont donné leur vie afin que je vive mieux la mienne un dimanche matin.

Hic et nunc, coffea arabica venit.

Heureuse comme Ulysse ayant déjeuné, je repars pour une autre bataille.

Sic transit gloria pani. Venit, vidit, vincit.

Miam.

Cinnabom, cinnabam, cinnabim, bam, boum

J'écris ces lignes en attendant que les petits pains à la cannelle sortent du four et s'en vont à la guerre contre la faim matinale.

27.11.10

Advienne que pourra

Petit trou du samedi creusé comme un sillon sur mon front
Qui marque le jour et la nuit et le passage du temps...
Petit trou blanc, pas noir, sorti de son apartheid cruel
Petit trou relégué au samedi sans fin qui attend ma truelle
Pour plâtrer, remplir, combler le plein vaste et fourbe,
Attendre dimanche qui se fera prier, afin qu'on ne courbe
La tête comme une fière et fidèle sicambre
Auprès de Noël installé dans son anti-chambre.

26.11.10

Immortel

Matinée cristalline transie par le froid
Rien ne bouge.
L'herbe encore verte regrette sa folie
De ne pas mourir avant l'avent
De cette cruelle maîtresse qu'on appelle l'hiver.
Le soleil hésite encore, et quand il se montre,
Le givre se moque pas mal de lui.
Je pars quand je veux, se gausse-t-il.
Le soleil reste impassif.
Il sait qu'il sera là demain,
Et le lendemain, et la semaine prochaine,
Même d'ici quatre milliards d'années
Et que les jours du saligaud blanc
Et impudent sont comptés.

25.11.10

Richesses

Mon toit est à moi.
Je sais quand je mangerai
J'aime, je suis aimée.

24.11.10

Un soir d'été

Summer Evening par Edmund Hopper, 1947

Tôt ou tard,
Il viendra un soir d'été
Te poser une question
Sur ta véranda
Et toi, improbablement illuminée,
Répondra qu'on a ouvert la fenêtre,
Mais que la porte restera fermée.

23.11.10

Choses à faire pendant une lapidation

Si l'on est spectateur :

1) Hurler.
2) Applaudir.
3) Baver de satisfaction.
4) Manger avidement ses popcorns.

Si l'on est lapideur :

1) Exécuter solennellement la volonté de la loi.
2) Choisir expertement ses projectiles (pas trop lourdes, on ne veut pas la tuer tout de suite, il faut qu'elle souffre).
3) Se réjouir des applaudissements des spectateurs.
4) Se féliciter pour son courage personnel.

Si l'on est cible :

1) Réfléchir encore quelques secondes sur son crime de naître femme.

Fleur

Tu lui jettes des bouquets.
Il n'y plus une pétale pour moi.
Je vide les vases, balaie les miettes.
Je pense à mon tablier sans tâche,
À ta couronne d'épines,
Et je souris.
Le soleil brille encore
Par ici
Sans ta permission.

22.11.10

Faire-part

Après l'invitation à la surprise-party pour sa roquette, Mimi, j'arrêtai de téléphoner. Mais les amis de Klarisse n'en comprirent rien. J'ai beau leur expliquer que je portais encore les traces rougeâtres aux chevilles où Mimi et ses autres amis-canins me mordirent violemment. Charles ne comprit pas : Mais cela ne put pas faire aussi mal que cela, je ne sentis rien ! Jojo fut plus vague, mais je compris qu'elle pensait que je n'aurais pas dû exposer mes chevilles au toutou. Thierry dut répéter mes sentiments, car, d'un coup, Klarisse arriva à ma porte. Comment oses-tu dire du mal de mon petit amour ? Elle ne mord que les vaches haineuses ! Comme toi ! Je dis plus ou moins poliment à Klarisse qu'elle devait se faire voir...par un psychiatre. Elle repartit sans plus un mot. Je notai avec plaisir que son chien avait pissé sur la jupe de sa maîtresse. Depuis ce jour-là, le ciel est plus bleu pour mes yeux et je pais paisiblement dans un autre pré, plus vert et plus sain et vide de roquets.

21.11.10

Où tu as été ?

J'ai été à la plage, me suis couchée sur le sable, y ai ramené mon grain de sel, me suis fait pincer par une petite crabe en potinant avec une libellule perdue.

J'ai été à la montagne, suis tombée dans la neige, y ai failli me casser la gueule, ai perdu trois orteils à la gelure, suis devenue sourde dans le silence des avalanches poudreuses.

J'ai été au désert, à manger des dattes et des figues croustillantes, suis morte de soif, me suis déshydratée et ai halluciné des pyramides du sphinx qui m'a posé une colle.

J'ai été...

Non, je déconne.

J'étais ici.

Mais tu ne m'as pas vue.

20.11.10

Bouteille de djinn

Elle ouvre le flacon
De jus de citron vert
Et d'un coup, elle pense
« Ah, c'est lui ! »
Elle voit devant elle
Ses yeux, son sourire,
Elle entend son rire,
Et, abruptement,
Elle remet le flacon
Au frigo,
Choisit une autre recette.

19.11.10

La rose, le vaniteux, et l'ivrogne

Elle est suffisante, je ne l'aime pas du tout, pour qui se prend-elle, la garce ?

Il est suffisant, je ne l'aime pas du tout, pour qui se prend-il, le con ?

Mais l'ivrogne. Ah l'ivrogne qui boit parce qu'il a honte et qui a honte parce qu'il boit.
Ah, l'ivrogne.

Un homme, quoi.

Imparfait, sous pression dans son bocal, même s'il n'y a plus personne auprès de lui. Mais il ne boit pas pour sa solitude.

Il boit pour les cicatrices que quelqu'un a dû laisser dans son âme, comme un marquage au fer qu'on fait à un boeuf.

À lui, je lève mon verre.

18.11.10

Kleenex

Pour les morves.
Pour les larmes.
Pour les crachats de sang.
Pour les salissures.
Pour les yeux de raton-laveur.
Pour les sueurs.
Pour les soutifs trop plats.
Pour le pus.
Pour la vie.
Pour la mort.
Pour ceux qui font leur deuil.

17.11.10

Fado

La croisière s'amuse 
jusqu'à ce que la mer 
croque les passagers 
lors d'un thé dansant, 
et ça même avant que
Philbert ne peut déclarer 
son amour pour Esmée.
Leur monde est triste 
et désastreux.
Mais en dépit de ça, 
et ignorants, les sardines 
se serrent et pensent 
à préserver leur immortalité 
dans une tapenade 
d'émails portugais.

16.11.10

Coffee, two creams

Coffee, two creams.
Un dollar et sept centimes.

C'est un peu chérot, l'eau chaude et marron. Partout ailleurs au tiers monde, on peut en boire pour rien, de l'eau chaude et marron. Et c'est une habitude ridicule, quel gaspillage, boire deux cafés d'un seul matin ! Mais c'est bon, et chaud, et cela fait plaisir. À quel prix le plaisir ? Ceux qui vous disent que le plaisir est gratuit sont des menteurs. Il y a toujours un prix et parfois il est important. Alors, peut-on économiser au point de vivre sans plaisir ? Or, il est bien possible de vivre sans plaisir pour pas cher, mais la vie a toujours un prix, elle aussi. Même si tu n'as rien du tout, il coûte quelque chose de respirer l'air pendant qu'on meurt de faim ou de froid. Ou en manque d'amour : celui des autres, celui de soi, celui qu'on donne, celui qu'on vend, celui qu'on achète, celui qu'on vole en cachette sans se demander le prix, le coût, l'abandon de tout, et des trous dans la poche...

Coffee, two creams.
Un dollar et sept centimes.

14.11.10

Feuille

La dernière des milliers danse sur le chêne
Son petit hulu quand le vent se déchaine.
Sa robe est marron, sa peau est sèche,
Sa seule beauté : sa ténacité rêche.
Elle tiendra bon, encore une fois,
Un jour, un mois.
La neige viendra pour la punir.
Et bientôt, dans la joie,
Elle lâchera prise et s'envolera.

13.11.10

Mamy guette

Les oiseaux 
ne sont pas 
encore venus
À leurs mangeoires 
fraîchement pendus.
Est-ce mauvais signe ?
Ou sont-ils au régime ?

12.11.10

Baal

Je baisse les bras devant ce Baal inexorable.
Ce fut au debut un maître généreux, qui riait
Qui offrait à boire et à manger.
Peu à peu, le pouvoir l'a gobé, le pouvoir absolu
L'a gobé absolument,
Dangereusement.

À genoux devant ce Baal impitoyable,
J'implore, je supplie, je sollicite, humblement.
Mais il ne me voit pas, quelqu'un lui a crevé
Les yeux, un malheureux
Qui cherchait, peureux,
La lumière.

Je baisse la tête devant ce Baal inévitable.
Je dénue le cou, je cherche le courage
D'attendre le coup de hâche
Avec sérénité, et je pense
Au goût des cerises, à leur jus,
Au noyau.

11.11.10

Serveuse

Ann s'en va.
Ann s'en va vivre en Georgie.
L'État américain.
Y en a-t-il un autre ?

Ann s'en va.
Ann s'en va vivre avec sa fille.
Celle dont elle ne veut pas tuer le mari.
Pas l'autre.

Ann s'en va.
Ann s'en va vivre sa vie ailleurs.
Alors, aujourd'hui, à midi,
On ira lui dire bonne route
Et elle nous dira bon appétit
En mettant nos plats devant nous.

7.11.10

Quand Dieu fumait sa pipe

 [Pour le Défi du samedi, où il figure une version un peu plus courte]

- Sophie, viens ! cria Maman.

Ce jour-là, j’étais en train de gronder Lapin qui n’avait pas fait ses devoirs, mais je l’ai laissé devant l’ardoise avec les autres poupées, parce que l’on ne devait jamais être trop occupée pour répondre à Maman. Sinon, on risquait une petite tape qui servait de rappel.

- Oui, maman ? dis-je en arrivant à la cuisine.

- Il fait si chaud aujourd’hui ! Porte ce verre d’eau à ton grand-père dans le jardin et demande-lui s’il veut déjeuner avec nous.

Je pris le verre dans les deux mains et sortis de la maison, allant lentement jusqu’à l’orme où mon grand-père était assis sous l’ombre. J’avais appris à ne pas courir. Lorsque je courais, l’eau ne restait jamais dans le verre.

- Tiens, Papy, tu veux de l’eau ?

Papy ne prit pas le verre, alors, je le mis soigneusement par terre à côté de lui. Il était sans doute fatigué, ayant passé la matinée à bêcher les chardons qui poussaient dans  les longs rangs de maïs qui traversaient les champs de son fils.  Papa aurait pu y passer avec son tracteur, mais mon grand-père, dur et angulaire, n’était pas le genre d’homme à ne rien faire de sa journée. Même s’il faisait très chaud, comme ce jour-là.

Je m’assis par terre à côté de lui.  Mes petits pieds dodus, nus et sales, arrivaient au niveau de ses maigres cuisses au-dessous de son pantalon poussiéreux.  Je me demandais si un jour mes jambes seraient aussi longues que les siennes, une chose qui me semblait impossible.

Quelques brins d’herbe me piquaient les jambes nues. Une mouche vrombissait autour de nos têtes. Je regardai les petites gouttes de sueur aux tempes grises de mon grand-père. Elles semblaient attendre que la grosse veine bleue zigzaguant juste au-dessous sa peau s’y éclate.

D’un coup, je me souvins de la question de maman.

- Maman veut savoir si tu veux déjeuner avec nous ?

Il grogna entre ses petites dents jaunes et carrées qui serraient la tige de sa pipe. Le tabac sentait bon.

- D’accord, dis-je, mais je ne me pressai pas pour rentrer le dire à maman. Je savais que maman ferait assez de pommes de terre pour nous tous : Papa, mes frères, Papy, maman et moi.

Je regardai les taches du ciel bleu entre le noir des feuilles et j’attendis que Papy me parle.

C’était lui qui m’avait montré l’herbe du menteur. Avant de l’arracher de la terre, il me demandait si j’avais menti ce jour-là. La première fois, je tremblai de terreur. Un mensonge était un grand crime. Un crime qui valait une fessée sérieuse. Papy arracha la plante. Il y avait des fils blancs au bout de la tige arrachée. Il me dit que cela prouvait que j’avais dit un gros mensonge et trois petits mensonges. Horrifiée, je protestai férocement mon innocence avant de me rendre compte que c’était Papy qui mentait. Après ça, j’adorais le jeu et je voulais toujours qu’il le propose.

Mais ce jour-là, Papy fumait sa pipe et regardait le ciel. Je pensai à lui demander l’heure. Papy savait toujours l’heure précise, miraculeusement, parce qu’il ne portait jamais de montre.

- Papy, quelle heure il est ?

Il ne répondit pas.

J’en avais l’habitude. Ce n’était pas un homme qui parlait beaucoup.

Je regardai les nuages dans le ciel. Ils étaient gros et blancs, comme des moutons qu’on avait oublié de tondre. Mais plus propres. Pas comme les vrais moutons dans la ferme. Plus comme les moutons dans les dessins animés. C’était Papy qui m’avait dit qu’il y avait des nuages comme ça quand Dieu fumait sa pipe. J’avais ri à penser que Dieu était un vieux comme mon Papy, qui fumait une pipe, comme lui, et qui savait quand tu disais un mensonge. Je me demandais si Dieu bêchait aussi les champs de Jésus. J’étais sur le point de poser la question à Papy, mais je vis qu’il avait fermé les yeux. Papy aimait faire la sieste quelquefois.

- Sophie !  C’était la voix de maman. À table !

Je courus à la maison. C’était toujours à moi de mettre le bassin d’eau sur la véranda afin que Papy et mes frères se lavent avant de manger.

La porte claqua derrière moi.

- Papy, il ne vient pas ? demanda Maman, en train de remplir les verres sur la table.

- Si, je crois, lui répondis-je avant d’aller chercher le vieux bassin et des serviettes.

Maman dut regarder par la fenêtre. Dans la salle d’eau, j’entendis le son de la cruche qui cassait, quelques pas rapides sur le plancher de la cuisine, la porte qui claquait, et puis la voix de ma maman au jardin, hurlant « Eugène ! Eugène ! ».

Ce jour-là, Papy ne répondit pas.

6.11.10

Santa missa

Sans rosace ni autel
Drôle de cathédrale
Où l'on entend le paradis
Chuchotant dans les feuilles.
Le soleil d'automne
Se met à genoux
Pour prier, se confesser,
S'offrir comme un cierge
À une vierge quelconque.

4.11.10

Lune

    À 6 
             h 05, 
                              Elle se levait, 
                                     Quasi-impercep-
                                           tible, Une mince 
                                               croissante Distante 
                                            et exquise,  Encore 
                                        croquée par le noir
                             Vorace et ve-
           lou-
 té

3.11.10

Code

L'hombre
Sombre
Dans les ombres
Sans nombre
Je répète...
Le sombre
Hombre
Se nombre
Dans l'ombre
Je répète...
Le nombre
Dans l'ombre
Sombre
L'hombre.

Et maintenant,
On fait quoi ?
On attend.

2.11.10

Klagemauer

Finalement, je suis contente que tu t'écroules
Depuis le temps que je viens lamenter à tes pieds
D'argile, à fourrer des billets-doux sous tes bras.
Tu es tout ce qui reste du sage mythique, oublié,
Un personnage dans un vieux film de Hollywood,
Celui qui menaçait le bambin dans les bras
De deux femmes qui l'aimaient et celle qui a
Choisi de ne pas partager avait tort de trop aimer.
Finalement, je suis contente que tu t'écroules,
Mais est-ce du poids de l'âge ou de la honte ?

1.11.10

Toussaint

Abraham, Agnes, et André,
Barthélemy et Bénézet,
Catherine et Domitien,
Eulalie et Fabien,
Gaspard, Georges et St Gratien,
Les Innocents (hinhinhinhin).
Jacques et Jean et Jean-Baptiste,
Karine, Kevin, et Léo VI.
Marguerite, Médard, Monon,
Saint Pierre-François Néron !
Polycarpe, Quentin, Romain,
Saturnin, Thérèse, Urbain,
Saint Vincent de Saragosse,
Sainte Waudru (une sale gosse),
Xavier, lui qui reluque,
Yves, et Ste Zita de Lucques.
Voilà. Je vous en remercie
Avant que l'on me crucifie.

31.10.10

Amitié

Le taxi, le train, le bus
Sont prévisibles.
Tu sais qu'à chaque arrêt,
On risque de descendre
Et te laisser seul encore
Sur ton chemin.

L'avion, c'est plus sûr,
Mais l'averti se méfie
Sagement
Du passager muni
De parachute.

30.10.10

Image par brige

Ces cheveux racontent
Une vie liée à celle des autres
et il y a tant de courage
Dans ce cou long et droit.
Ces yeux de philosophe
Regardent encore en haut
Cette bouche a connu 
La faim, la joie, la douleur, l'extase.


 

Mais c'est cette poitrine
Qui raconte
Les cicatrices qui l'ont formée :
Ces traces des griffes, des flèches,
D'un couteau qui lui ont donné la vie :
Un héritage, un caractère.

Photo (c) Brigitte Celerier 
republiée ici avec la permission de la photographe

29.10.10

Effectif

Son filet reluit au soleil
Mais le pécheur se fatigue.
Ses bras noués de muscles
Se figent le matin ; son réveil
Est pénible. Quasi-sourd, il
N'entend plus l'appel sirène
De la mer qui l'a sevré, jeune,
Et son vieux nez aplati par le vent
Ne sent plus le sel qui n'arrive même
Plus guère à brûler ses plaies.
Ses cheveux rabougris par l'âge
Qui lui murmure des obscénités
Blanchissent comme des nuages.
Et bientôt, il baissera les voiles
Et les bras, et retournera d'où il est venu.
Ses branchies poussiéreuses
Se refermeront pour du bon.

28.10.10

Comptine boîtante

Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Avant de partir au pays
Où l'on bombe et l'on tue
Comme des hommes tordus
Comme font les bonnes gens envahies.

Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Et maintenant il est cul-de-jatte.
Quelle chance qu'il a eue !
Car il a survécu !
Quelle chance ! quelle chance délicate !

Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Pendant vingt-deux ans à courir
Et marcher partout
Armé jusqu'au cou
De jeunesse belle à mourir.

Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Et l'envie de tuer, c'est ce qu'il faut.
Il vivra heureux
Soldat valeureux
D'un pays qui sombre dans les maux.

27.10.10

Coup de coude

Arrête ta danse sur mes pauvr's deux pieds
J'ai déjà les orteils trop bien piétinés.
Arrête de manger dans ma pauvr' gamelle
La tienne est déjà trop grande, Gargamel !

Arrête de briller, arrête tes fournées !
Qui font que le soleil s'arrête de tourner.
J'en ai marre de ton ombre, c'est trop ombrageux,
Arrête ! Arrête ! C'est trop outrageux !

Arrête tout ça, ton jeu bringuebalant,
Les vertiges produits par ton trop grand talent !
Prends pitié des pauvres moins doués que toi.
Prends pitié des autres ! Prends pitié de moi !

26.10.10

Poulpeuse

On vit dans un âge où les poulpes sont plus sages que les hommes et plus regrettées lorsqu'elles meurent.

Grandir

-Cartier-Bresson, Sarajevo, Bosnia Hercegovina, 1965

À l'ombre, leur amitié restait chaleureuse
Au soleil, elle les désalterait,
Un mur, un chemin
Un bras autour des épaules
En tandem
Jusqu'au bout de la route.
Inaperçue, mais inexorable
La fêlure derrière elles
Jusqu'à la prochaine
Où l'une marcherait seule
Dans l'obscurité
L'autre oubliée ou délaissée, peut-être perdue
Au carrefour.

25.10.10

dépêches

la femme qui a perdu son nez
porte plainte contre le parfumier
un diabétique jette un pavé
à la vitrine de la confiserie
quelques indigents mettent le feu à la banque
et une édentée laisse une bombe
chez l'orthodontiste
le grand groupe anti-mouvement
bloque l'usine qui fabrique des clystères
et les anti-mondialistes auront bientôt
fait que le soleil
n'ait plus envie de se lever dans l'est

sur une autre étoile distante,
on nous regarde
et l'on se dit, tiens,
ce soir, je reste chez moi

24.10.10

La petite robe noire

La petite robe noire qui avait tant servi devait servir une dernière fois. Delphine n’eut ni le temps ni l’envie de se payer une autre pour les obsèques de son homme.

C’était le genre de robe qui n’existe que dans les revues féminines ou dans les films. Delphine se rappelait parfaitement de son achat : elle l’avait épiée sans trop y croire.

Elle n’osa qu’à peine examiner l’étiquette. Par un miracle quelconque, c’était de sa taille. Elle l’avait rapidement saisie dans ses mains, comme si la robe allait s’enfuir. Aux cabines d’essayage, elle ne croyait pas ses yeux, ni sa chance…la petite robe noire lui allait à perfection ! Et pourtant, Delphine n’arrivait toujours pas à y croire…elle examina furtivement les coutures, l’ourlet, la fermeture…cette robe devait avoir une faille quelque part, sa perfection étant trop. Mais elle ne trouva rien, et c’était une des rares fois dans sa vie où le miroir semblait lui mentir. Pas mal. Pas mal du tout, ses yeux lui dirent. Delphine osa enfin sourire de triomphe.

Tout naturellement, elle la porta partout : aux cocktails, aux restaurants, à l’opéra, aux mariages comme aux obsèques. En hiver, elle mettait une veste ou un pull, selon la formalité de l’occasion. Un châle pour les soirées d’été, des perles pour les occasions les plus élégantes. La robe allait dans sa valise et sortait sans le moindre froissement.

C’était une robe de rêve.

Delphine ne pouvait pas croire qu’elle allait la porter pour la dernière fois lors des obsèques d’Harry.

Harry, qui était avec elle le jour où elle l’avait achetée.

Harry, qui avait accidentellement laissé tomber la robe en la sortant de la voiture à leur retour.

Harry, qui n’avait pas compris les cris de terreur émis par sa femme, ni ses larmes de colère, une fois qu’elle comprit que cette robe de rêve n’avait rien eu. C’était peut-être pour cela que l’homme ne loupait jamais l’occasion de dire à sa femme qui la robe lui allait bien, qu’elle était belle, qu’il était fier d’elle.

Harry, qui, tant bien que mal, l’avait aimée de tout son cœur.

Finalement, Delphine se demanda comment elle allait pouvoir la mettre sans entendre la voix de Harry dans son oreille, lui chuchotant des compliments audacieux et vaguement grivois pendant qu’il faisait semblant de remonter la fermeture à glissière, comment elle allait pouvoir la brûler après les obsèques, comment elle allait survivre sans une petite robe noire parfaite qu’elle avait tant aimée.

23.10.10

Jeter l'encre

Ne pas jeter l'encre
Vers celui qui se noie
Dans les eaux froides de l'indifférence,
Sans détourner la tête,
Sans déboucher l'oreille,
Sans dégeler le coeur,
Plus brutale que le coup de massue
Plus tranchante que le coup d'épée
Est l'absence du mot.

causa belli

Touche pas à ma vache sacrée, je l'ai connue génisse, t'as vu comme elle a grandi ? M'en fous si elle a piétiné ta gosse, t'avais qu'à ne pas la laisser se promener dans la rue.


Touche pas à ma vache sacrée, elle mettra encore 
un veau dans ce bas monde, un veau à adorer,
un veau à montrer aux foules affamées,
qui baveront d'admiration.Touche pas
à ma vache sacrée,












je te préviens.

22.10.10

Dépouilles

Cela faisait un moment que la marée avait oublié d'y retourner. La plage se désséchait, se vidant peu à peu de tout ce qui y vivait, ses petits inhabitants avaient été brûlés vifs sous un soleil qui ne pensait plus qu'à lui-même.

Une mouette cria, indigne, et inconsciente de sa propre culpabilité dans l'affaire.

Cela faisait un moment que tout avait fini par ne plus penser aux vagues, au son de l'océan, à la brise qui la racompagnait, sentant l'algue et les origines de la vie.

Les nuages, indifférents, étaient repartis ailleurs. Le ciel gâteux restait là parce qu'il n'avait pas le droit d'abandonner son poste. Les tristes os d'un vieux cadavre, trop fatigués pour luire, s'enterraient dans le sable, essayant eux aussi de ne plus penser à rien, à personne.

- À quoi ça sert, demanda un grain de sable, que je me réjouisse de la revoir, cette marée haute depuis si longtemps si basse ?

- Mais ! je jouais au sphinx, répondit-elle. Tiens, je t'ai ramené des trésors !

Et la mer cracha, sur la plage dépitée, de l'or, des rubis, des momies portant des grimaces vulgaires.

- Trop peu ! cria la mouette affamée.

- Trop tard ! retentit le vide.

21.10.10

Traversée

Une biche immobile au bord de la route
Ses yeux encore grands ouverts
Luisants encore de la surprise
Aveuglante d'un simple camion
Qui passe dans la nuit

Comme ton amour,
Là une seconde
Puis ébloui, écrasé dans celle d'après,

Une seconde qui a duré le temps
D'un battement de coeur
Le temps de faire jaillir
Ce noyau de rouge

Qui se trouve encore
Au bord de mes lèvres

20.10.10

Rejeté



Il y a une dame qui est sure que tout ce qui brille est de l’or, et elle achète un escalier qui mène au paradis. Quand elle y arrivera, elle sait que si toutes les boutiques sont fermées, elle pourra, d’un seul mot, avoir tout ce qu’elle est venue chercher. Il y a un panneau affiché au mur, mais elle voudrait s’assurer, parce que, tu sais, parfois les mots ont un double sens.

Dans un arbre près du ruisseau, il y a un oiseau qui chante. Parfois, toutes nos pensées sont pleine d’appréhension. C’est à se demander…

Il y a un sentiment qui m’arrive lorsque je regarde vers l’ouest, et mon âme pleure de partir. Dans mes pensées, j’ai vu des ronds de fumée à travers les arbres et les voix de ceux qui restent à regarder.

Et l’on chuchote que bientôt, si nous demandons tous un air, que le fifre nous amènera à la raison, et qu’une nouvelle journée se lèvera pour ceux qui resteront longtemps, et les forêts résonneront de rires.

S’il y a du tracas sous vos haies, ne vous inquiétez pas, ce n’est qu’un petit ménage printanier pour la Reine de mai. Oui, il y a deux chemins que tu peux choisir, mais à long terme, il y a encore du temps pour changer la voie où tu te trouves.

Ta tête bourdonne, et cela n’ira pas, au cas où que tu ne le savais pas, le fifre t’appelle à le rejoindre.

Chère dame, pouvez-vous entendre siffler le vent, et savais-tu que ton escalier se trouve sur le vent chuchotant ?

Et pendant que nous poursuivons le chemin, nos ombres plus grandes que notre âme, il y marche une dame que nous connaissons tous, qui rayonne de lumière blanche, et qui veut montrer comment tout se transforme en or.

Et si tu écoutes très fort, la vérité te viendra enfin, quand tous seront un et un sera tous, comment être une pierre et ne pas rouler.

Et elle achète un escalier qui mène au paradis.

[Traduction des paroles par Jimmy Page et Robert Plant]

La Fouine (II)

J'appris cette nuit-là, non pas le secret de la Fouine, mais une bonne leçon sur le système digestif et ses particularités quant aux aliments exotiquement épicés.  Khebdah quitta sa paillasse devant la porte de ma chambre et me fut d'une aide énorme pendant ma détresse.  Plusieurs heures plus tard, je retrouvai mon lit, m'endormis enfin, et oubliai de suite tout détail de la soirée y compris ma curiosité pour la houri moche.

Le lendemain, Khebdah fit savoir à l'Ambassadeur Harnais que j'étais souffrant et l'Ambassadeur répondit qu'il faudrait faire mon tout pour assister au repas du midi.

Je pus alors me reposer ce matin-là, que je passai avec reconnaissance sur un grand coussin à côté de ma fenêtre d'où je pus observer la cour sur laquelle ma chambre donnait.  Il s'y trouvait des palmiers, une sorte de piscine superficielle et toutes sortes de fleurs dont les couleurs me rappelaient les robes des demoiselles la veille.  Je les imaginais celles-ci renfermées dans le sérail, jalousement gardées par les eunuques.  Je me demandais ce qu'elles pouvaient bien faire pour s'occuper dans les longues heures où l'émir était pris, où il n'y avait pas d'invités à distraire, où...

En ce moment-là, j'aperçus une silhouette qui traversait rapidement la cour, et, à mon étonnement, je crus reconnaître la Fouine !  Mais que faisait-elle comme cela, à se promener seule, même sans duègne ?  Elle portait dans ses bras un petit rouleau.  Je me dis que c'était un tapis de laine, plus petit que ceux que j'avais admirés la veille,  mais je remarquai des franges blanches et curieuses qui sortaient d'un bout du rouleau.  Deux secondes après, elle disparut par une porte qui menait je ne sais pas où.  Je dus m'endormir quelques minutes après, toujours un peu épuisé par les exigences dyspeptiques de la veille.

Je me réveillai en sentant la main de Khebdah sur mon épaule.  Il m'aida à me baigner et à me préparer pour le repas du midi.  L'émir avait envoyé des robes somptueuses comme cadeau et me pria de les porter à mon plaisir pour le reste du séjour.  Khebdah dut m'aider avec ces vêtements insolites, mais c'est vrai que leur soie était agréable au toucher, et que leur couleur lumineuse m'allait particulièrement bien.  Lorsque Khebdah me mit le keffieh, je me regardai dans le miroir qu'il me tendit, et je me trouvai tout à fait splendide.

Je commençais à penser que je serais même capable d'avaler un morceau au repas lorsque j'entendis un grand cri qui venait de la cour.  J'allai à la fenêtre pour voir et devant mes yeux, je vis une des demoiselles du sérail à genoux, un petit paquet par terre devant elle.  Je constatai tout de suite que c'était le rouleau que j'avais vu porter la Fouine quelques heures avant, et, avec horreur, que la franges que j'avais remarquées au bout du rouleau, étaient, en fait, la queue d'un petit chien blanc.

Son immobilité absolue et les cris déchirants de la fille à genoux me dirent, bien sûr, que le petit chien était mort. Khebdeh, très déconfit, me chuchota qu'il fallait bien partir pour aller manger, qu'il fallait surtout ne pas faire attendre son Altesse.  Je reconnus tout de suite la justesse de cette réflexion, mais juste avant de tourner mon dos à cette scène horrifiante, je vis, du coin des yeux, une paire de lèvres étroites et grisâtres qui exposaient des dents tâchées et mal alignées dans un sourire malicieux.


(2006)

19.10.10

La Fouine (I)

C'était au début de ma carrière de diplomate.  Tout par hasard, on m'eut choisi pour accompagner l'ambassadeur Harnais lors de sa première visite officielle à l'Émir de Radabayan.

Son palais était tout d'or, somptueux, ci et là brillaient des rubis, des émeraudes. L'émir lui-même, suivant la coutume de son pays, portait un collier de perles tellement grandes que je les croyais fausses.

Avant la fin de la visite, j'allais comprendre que je m'étais trompé.

C'était des vraies.

Dans la cour de l'Émir, il y avait naturellement plusieurs personnes,ses conseillers, ses servants, des eunuques, mais pour impressionner à l'occasion ses visiteurs occidentaux  -  dont le goût pervers était ici connu de tous  -  Radabayan avait l'habitude de faire venir aussi plusieurs demoiselles du sérail.

Lorsque celles-ci entrèrent dans la grande salle, j'eus l'impression de regarder un essaim de papillons, tous coloriés dans des bleus et des roses vibrants.  Elles ne parlaient pas, mais assis à un mètre derrière
l'ambassadeur, j'entendais leurs petits rires légers  qui étaient, pour mes oreilles inaccoutumées, comme les tintements de petites cloches d'argent.  Ce fut en tout cas l'image qui me vînt en tête pendant que je
fermais les yeux pour mieux les entendre.

À mon grand étonnement, parmi tous ces parangons de vénusté, effectivement les plus belles femmes que j'aie jamais vues, avant ou depuis, j'en notai tout de suite une qui n'était pas comme les autres.

Celle-ci était tellement laide que, même si elle n'avait pas été entourée de ses ravissantes consoeurs, on l'aurait  tout de même trouvée désagréable à voir. Pour être franc, et pas très courtois, je dois dire qu'elle avait une tête de fouine.

Ses petits yeux étaient ternes et très étroits, surmontés de sourcils à la couleur indifférente, et dominant un long nez osseux qui descendait jusqu'à la bouche. Les lèvres étaient étroites et grisâtres, comme
enchâssées sur un menton rond qui ressemblait curieusement à une petite pomme de terre. En la regardant de profil, je m'aperçus que son menton, en saillie, était presque parallèle à la crête de son nez. L'impression
en fut répugnante.

Au contraire de ses compagnes, elle ne recouvrait pas sa bouche lorsqu'elle riait, et je pus voir, même à cette distance, à quel point ses dents étaient étrangement tâchées et très mal alignées.

Ses mouvements manquaient de grâce, elle ne dansait pas comme les autres, et lorsque le groupe se mit à chanter, je crus entendre la voix d'un crapaud tant elle chantait faux.

Lors de la soirée, je n'arrêtais pas de me poser la question :  que faisait cette femme, là, où elle n'avait aucune  place ?  Même les autres femmes semblaient un peu repoussées par elle, je pus noter que plusieurs changèrent de place lorsqu'elle se mettait à côté.

Je conclus enfin que c'était peut-être quelqu'un que l'Émir dut prendre par obligation politique, ou que c'était une pauvre dont il prit pitié. L'Émir était connu partout pour la générosité de son âme. Et puis, vaguement, j'eus l'idée que la Fouine devait être une de ces femmes dont j'avais entendu parler, la sorte qui savait faire un plaisir extrême aux hommes.  Je n'avais pas encore connu ce genre de femme personnellement, mais je m'en étais imaginé lorsque mes camarades à l'école ou au cercle estudiantin en parlaient

Pour dire vrai, ce n'était pas la Fouine que j'avais imaginée, mais en y réfléchissant, je me dis que c'était fort probable.

Oui, c'était certainement ça, me dis-je.  Cela expliquait pourquoi cette créature n'était pas au dehors à nourrir les bêtes dans les vastes étables du calife, comme toute autre personne qui restait mieux caché des yeux de ceux qui avaient l'habitude de regarder de belles choses.

La soirée prit fin et nous fûmes conduits à nos chambres.  J'appris alors que je disposerais d'un serviteur pendant le séjour, c'était un garçon d'une douzaine d'années. Il s'appelait Khebdah.

C'était ce petit gars qui allait m'apprendre  le secret de la Fouine.

(2006)

16.10.10

Voyageuse

Comme une touriste qui défait sa valise
Elle déballe sa vie, tristesse acquise.
Les dessous sont un peu effilochés
Les dentelles un peu jaunies et débauchées,
La trousse de toilette maussade,
Ses fards un peu plus que fades.

Après tout, c'est une vie qui a servi,
Sévi, lessivé, dévalisé, enséveli,
Pas très glamour, quelque peu banale.
Elle enveloppe la passagère comme un châle
De prière hurlée dans la nuit sans réponse,
Mais honni soit qui mal y pense.

Au crépuscule, avant que la ville ne se rallume,
La visiteuse s'esquive aux ombres dans la brûme
Les lampadaires vacillent, hésitant
Entre chien et loup. Le coeur palpitant
Fait un grand saut et s'arrête.

15.10.10

Langue française

c'est une rue que tu descends sans pouvoir la remonter
la cloche que tu ne peux pas désonner
la défaite que tu ne peux pas défaire

le mur de granit avec du fil barbelé et électrifié en haut
des éclats de verre cimentés dedans juste au cas où
en attente d'une impudente imprudente
qui essayerait d'y grimper

elle sont bien défendues
langue et intruse

les barbares ne passeront pas

14.10.10

Paladin (II)

La vie nomade, paladin, descend du cheval opalin, monte sa tente et s'installe une nuit ou deux, l'intervalle de moments fructueux d'une nuit, voire deux...puis repart un matin avant l'aube, malin, trainant des grains de l'amour prodigue et l'odeur des figues, dans les plis.

13.10.10

Paladin

la vie nomade,
paladin,
descend du cheval 
opalin,
monte sa tente et 
s'installe
une nuit ou deux, 
l'intervalle
de moments 
fructueux
d'une nuit, voire 
deux,
puis repart 
un matin
avant l'aube, 
malin,
trainant des 
grains
de l'amour
prodigue
et l'odeur des 
figues,
dans les plis

Queue

Dans la file d'attente,
Il y a parfois des gens
Qui ont la crampe
Mais ils résistent contre
Les exigeances de Nature
Qui ferait qu'ils perdent leur place dans la queue..
Alors, ils souffrent.
D'abord en silence,
Mais bientôt, ils s'agitent.

Ils sifflent pour faire passer le temps,
En rêvant des îles arides et désertes
Où l'on pisse et chie
Autant qu'on veut
En privé ou en public.

Trop souvent, il y a des sadiques
Devant eux qui prennent leur temps
En papotant
Ou en imitant les escargots
Pendant que quelqu'un derrière eux
S'agonise, torturé.

C'est ainsi que naissent,
Mesdames et messieurs,
Les assassins.

12.10.10

Faulkner

Des faiblesses humaines,
L'auteur a reconstruit le monde,
Pas pour le meilleur
Mais sans doute pour nous punir :
Un dieu donc rancunier
Et vicieux.

11.10.10

Café

aussi chaud, aussi veloûté, aussi délicieux,
il passe quand même mieux
grâce aux brûlures du premier

9.10.10

Frappe de serpent

Elle porte son hypocrisie 
comme un rouge à lèvres hâtivement tiré sur des lèvres gercées. 
Les écailles brillent à nouveau dans la lumière du jour 
et cachent à peine ses crochets jaunis d'âge et de haine. 
Les restes de son vénin dégoulinent au coin de sa bouche 
fendue comme le sol des pays arides.
La souris atterrie devant elle
gigote encore, mais juste un peu.

8.10.10

Gratitude

C'est le stade, de nouveau à vide
Après le match

Les cris de la foule
Déjà repartie

C'est le vent un jour
De calme

L'océan à marée basse, l'oiseau envolé en migration

C'est une idée
Un souhait
Une déception

Le lion qui refuse d'avoir peur
Devant la chaise, le pistolet
Et le fouet

7.10.10

Awaiting moderation

J'attends la modération :

Je suis le com' qui ploupe comme un cheveu sur la soupe.
Je suis la jeune débauchée et la vieille asthète.
Je suis la marchande qui voudrait que tu achètes.

J'attends la modération :

Quand je trouverai pédant de croquer dedans,
Quand je n'aurai plus envie de savoir ce que tu penses, 
Quand je n'aurai plus mal devant tes mots et tes silences...

J'attends la modération :

Un jour,  le monde girond tournera un peu plus rond.
Un jour,  les crétins et les escrocs mourront de faim.
Un jour,  Dieu sera démasqué et traité de villain.

Courses

lait
pain
pommes de terre

laid
lapin
l'homme de terre

paix
pépin
pomme de père

les
lalains
l'homme de l'ère

paix
péplum
tôme de l'air

6.10.10

Le Soleil ne dit jamais

[ma traduction du poème par Hafíz]

LE SOLEIL NE DIT JAMAIS

Même 
Après 
Tout ce temps

Le soleil ne dit jamais à la Terre,

"Tu me
dois."

Regardez
Ce qui arrive
D'un tel amour, 

Ça éclaire
Le ciel
Entier.

5.10.10

Grocery stories (II)

LA PETITE FILLE AU SUPER

Elle avait six ou sept ans, tout au plus, la petite aux longs boucles bruns
qui faisait la queue toute seule cet après-midi-là au supermarché.

Quand je lui souris, elle me parla.

- Pardon, pourriez-vous me dire si je peux acheter ces biscuits avec un
dollar et sept centimes ?

- Je ne sais pas, lui répondis-je, en regardant son paquet d'Oreos, mais
je veux bien aller voir au rayon biscuits

J'étais un peu surprise mais enchantée qu'elle me raccompagne au rayon, tout
en me racontant que son papa lui avait fait entrer au magasin toute seule,
et tout comme il n'y avait pas d'étiquette sur le paquet avec le prix marqué
dessus, elle ne pouvait pas savoir si elle avait assez d'argent.  Ses yeux
noirs étaient très sérieux.  On sympathisait, en se disant que ce n'était
pas toujours facile de savoir, et qu'il faut souvent bien regarder les prix
affichés sur les étagères pour en être sûres et même lorsqu'on est sûres, on
peut se tromper.

On bavarda entre femmes, quoi.

En arrivant au rayon, j'aperçus tout de suite qu'elle n'avait pas assez
d'argent.  J'avais bien l'intention de lui en « prêter » le reste, mais
lorsque je lui annonçai le vrai prix, elle remit vite son paquet, comme s'il
la brûlait.

Je la regardai, et je lui dis,  « Hmm, hmm, voyons, qu'est-ce qu'on peut
bien acheter avec un dollar sept centimes ? »

Il y avait un paquet de biscuits similaires, mais d'une marque inconnue.

Leur prix, 99 centimes.

- Tiens, ces biscuits-ci sont presque la même chose, est-ce que ça t'irait
?

Elle me sourit et les prit.

Nous retournâmes à la caisse, je l'invitai à passer devant moi.
Elle dut se mettre en pointe afin de pouvoir mettre tous ses sous sur le
comptoir.  La caissière lui expliqua gentiment qu'elle pouvait garder les
pièces et qu'elle allait même en recevoir encore une, la monnaie de son billet.

- Dis-moi, lui fis-je, avant qu'elle ne parte.  Tu vas pouvoir manger tous
ces biscuits toi-même ?

- Non, avoua-t-elle en soupirant.  J'ai des frères. 

(juin 2005)

Grocery stories (I)

Au supermarché les deux caissières s'entrebavardaient pendant que l'une
passait mes achats sur son scanneur.

- C'est bientôt mon anniversaire de mariage, dit l'une.

- Ouais ?  répondit la mienne.

- Tu es mariée ? s'étonna la fille qui rangeait mes achats dans des
sachets.

-  Je ne suis pas divorcée ! insista Blondie.

- Oui ?  quel jour ?  demanda la mienne.

- Le quatorze février.  Cela fera huit ans.

Silence. Finalement, la petite rangeuse remarqua d'une petite voix
qu'elle pensait que Blondie vivait seule.

- Effectivement ! rit Blondie.  Je ne l'ai pas vu depuis sept ans et
demie.  Lui, il vit dans l'Oklahoma.  Mais on est toujours mariés. En
tout cas, on ne s'est jamais divorcés.

Tout le monde dans les deux queues la regarda, sans plus rien dire.

Après quelques secondes, elle continua, « Il s'appelle Chester ».

Et puis elle sourit très grand.

(janvier 2006)

4.10.10

Dépêches de la bataille

Le ciel jette ses filets de nuages
Dans le but d'attraper la chaleur
Et de la retenir, prisonnière.
Mais l'armée du soleil s'en va vers le sud
Et donne l'ordre assassin :
Pas de prisonniers !
Et l'automne, bon soldat,
S'exécute.

3.10.10

L'Hiver

Ses pas grincent aux pierres
Sur le chemin, il arrive
Martelant la porte

30.9.10

Haut les mammaires

Lorsque tes PIP feront pop
Tes tifs, pas au top,
Seront
Rembourrés,
Remblayés,
Et surtout remboursés,

En bonne rombière
Tu repartiras les ballons devant
Et chair
Payée top
Quand tes PIP feront pop

29.9.10

Y en a marre, je dis

Qu'est-ce qui est pire : la femme en pleine drague ou l'homme qui court à l'attrape de ses os ?

28.9.10

Gaffe

Faute d'inattention
Elle a dit 
Le mot.
La langue a fourché, ça lui arrive en parlant aussi.
A l'attaque, les petits esprits !
Tous des tordus...
Ils ne s'attendaient qu'à ça !
On avait bien ri et puis d'ailleurs, on savait déjà qu'elle était salope,
N'est-ce pas ?

27.9.10

Hmm

Lundi mal
L'autre Di Bien
Et toi, tu ne dis rien du tout

26.9.10

Tatouages

Deux, trois cicatrices
Des rides coquines
Quand mon visage oublie d'arrêter de sourire
Après que ma bouche le cesse, sans rire.

Des veines bleues
Qui traversent le doute
De mes poignets sans laisser
Tomber goutte.

Un silo de grains
De beauté
Récoltés sous le soleil.

Ce sont mes tatouages
Qui disent tous, en choeur :
Celle-ci a du coeur !
Elle a vécu

Et elle voudrait que ça
Continue.

25.9.10

Age

Le temps, laboureur,
A patiemment creusé
Ses sillons sur mon front

24.9.10

Veuvage

un jour, son homme est tombé,
inconscient,
et n'a jamais revu le monde
son coeur battait encore
mais son cerveau était noyé dans le sang

papa a déménagé à une autre ville
et il ne peut pas rentrer
c'est ce qu'elle a dit à la benjamine

peut-on donner son coeur, son foie, ses yeux,
sa peau
c'est ce qu'elle a demandé aux médecins

je regrette nos disputes, j'aurais voulu au moins 
te dire au revoir
c'est ce qu'elle a expliqué à son mari
après être rentré de l'hôpital

il est maintenant fantôme
et vit encore à leur maison

l'autre jour, elle l'a vu
de ses propres yeux

23.9.10

Pragmatisme

La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe.
Mais portez tout de même des Kleenex, au cas où.

22.9.10

Amazone au Land's End

fidèles
dans leur correspondances,
les vendeurs n'oublient jamais
de m'envoyer un petit mail
pour prendre de mes nouvelles
(et mes dollars)
il y a du Réconfort
dans la réalisation
que, pour eux, je serai toujours
jeune, et belle,
et, surtout,
riche

21.9.10

Concours

Si c'est vrai que la vie est un concours,
Soyons les plus coriaces.
Courons loquaces.
Aimons-nous tous les jours sans recours.

Faisons de la musculation du cerveau
En l'utilisant, long et fort.
Ignorant l'inconfort,
Aimons-nous sans pitié, haut niveau.

Sautons, grimpons, brassons, sans secours,
Aimons-nous sans remords
Jusqu'au bout et puis un peu plus encore,
Si c'est vrai que la vie est un concours.

20.9.10

Le temps des ardoises

Pour une photo de chez sebarjo

Quand tu en seras au temps des ardoises
Si tu as peur des grisantes toitures
Évite les vieilles !
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans écrire un jour...
Quand tu en seras au temps des ardoises
Tu auras aussi des chagrins d'écriture !

19.9.10

DLFL (IV)

Courage : Légume qui a retrouvé un as (cf courge)

18.9.10

Pour Houellebecq, le plagiaire

Tel un voleur
Dans la nuit
Qui dévalorise
Les croûtes au moindre foyer du village,

Le prétendu boulanger
Ouvre ses portes le lendemain
Pour les revendre aux affamés salivants.

Qu'est-ce qu'ils peuvent en savoir ?
Répond-il, arrogant, dédaigneux.
Ils mouillent mes pains avec leur bave !

17.9.10

La retraite à soixante-deux mille mètres

Où vont les vieux nuages ayant terminé leur service ?
S'achètent-ils un camping car pour aller explorer des terrains inconnus,
Ou rendre visite aux cousins d'Amérique, ceux qui vivent frileusement aux Rocheuses ?

Où vont les vieux nuages ayant terminé leur service ?
Restent-ils à la maison, à bricoler, faire des bridge avec les voisins,
Ou somnoler sur le sofa devant la télé et les feuilletons de l'après-midi ?

Où vont les vieux nuages ayant terminé leur service ?
S'intallent-ils dans une maison de retraite pour les anciens cumulo-nimbi,
Dégonflés, désséchés, désintéressés par leur vie de nuage ?

Où vont les vieux nuages ayant terminé leur service ?
Croient-ils à la réincarnation ? au recyclage ? à l'immortalité ?
S'inscrivent-ils aux cours de portugais pour rester alertes ?

Ou s'envolent-ils doucement vers le paradis du nuages,
Où le ciel est rempli de leurs compères
Et où personne ne s'en plaint ?

16.9.10

Amour

Crapaud crépi au crépuscule
Couaque et couine et crâne,
Crache et croasse, se croit coquin,
Craquant, se couche, couard.

14.9.10

Aux bords du temps, version sonore

Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.

Pan ! Pan ! Pan !

Craaque !

Ouilleyouille !

Riiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip !

Riiiiiiiiiiinnnnnnnnnnnnnnn !

Chouipe ! Chouipe, chouipe, chouipe !

Crrrrrrrooooooooooooooooouiiiiiiiiiiiiiiic !

Le lendemain, Il a dû se payer des Boules-Quiès.

Et depuis, Il n'entend plus personne.

12.9.10

DLFL (III)

Excessive : Cessive d'avec qui on s'est divorcé.

Dico loufoque de la frange lancée (II)

Zippocrite : Individu qui prétend être votre ami mais qui refuserait de vous prêter son briquet.

9.9.10

L'Air des vocables

Victoire !
Victime :
Victuals...

Curée...
Cure ?
Curé.

Nausée !
Usée...
Us ?

Pragmatique,
Emblématique
Qui tique.

Victime :
Victuals...
Victoire !

8.9.10

Non.

Non.

Je m'en voudrais de ne pas le dire, mais non.

Non. Non.

Je ne suis pas triste lorsque le violeur est écrasé sous un camion, je ne verse pas de larmes quand un vicieux se casse la gueule, je ne suinte pas la compassion quand les pédophiles se font faire la peau dans un coin noir quelque part.

Non. Non. Non.

Si tu me gifles, je retiens pour toujours la trace de ta main.

Non. Non. Non.

Le glas ne sonne pas pour moi.

Non. Non.

Je m'en serais voulu de ne pas l'avoir dit.

Alors, non.

Non.

7.9.10

Maîtrise

Sans chaise,
Sans fouet,
Sans pistolet,
Elle tend la main
Et la bête
Vient
Manger dans sa main
Et s'endort, lovée
À ses pieds.

6.9.10

Navire négrier

C'est le bateau que tu n'es pas triste à voir repartir. Tu as hâte que l'horizon l'avale, ce navire qui était ton prison, où tu mourrais en manque de civilité et le gros sadique passait battre tous ceux qui ramaient, riant lorsqu'il voyait le sang suinter sur les dos nus.

Et maintenant, tu es libre. Courbé, ampoulé, cicatrisé, mais libre, libre comme l'albatros, libre à crever de faim sous tes propres termes, libre à hurler ou rire dans le vent qui transporte tes cris silencieux, libre à te briser le coeur comme tu veux.

C'est le bateau que tu n'es pas triste à voir repartir, chargé du sel des larmes, des sueurs, du sang, de la mer inexorable, impardonnable, sans merci.

Tu n'es plus qu'un squelette tapissé d'un bout de cuir rayé. Tes os, à peine cachés, érafleront les autres peaux qui ne se doutent de rien. Tes yeux - arrachés depuis longtemps, jetés sur le sable, desséchés par le soleil, le vent, le souvenir du fouet - et ton coeur scanderont longtemps les vagues.

C'est le bateau que tu n'es pas triste à voir repartir.

5.9.10

Un coin tranquille



Photo (c) par FAbrice


Jaloux
Du papier
Les arbres espionnent
Un admirateur égaré
Par d'autres feuilles
Où dansent des araignées
Noires sur blanches

Infidèles

Fidèles au rendez-vous :
La gifle, le coup de poing,
Le coup de pied dans le cul.
Caresses, bisous
Portés disparus
Ils sont déjà loin,
Infidèles au rendez-vous.

27.8.10

À Noël si tout va bien

Qui sont ces pauvres diabolos
Travaillant sous la terre,
Creusant un grand sentier
Dans ces boyaux durs ?
Destination : l'enfer.

Coincé, piégé, enterré, enfermé,
Réfugié en, dans, sous la pierre
Dans une crèche gravée dans le granit
Spectacle, ce freak show gratuit, en direct.

Nous, bavants du désir
De leurs pas de charbon
Attendrons jusqu'à Noël
Pour les voir crever,
Cuits, cuivrés
Dans le creux du fourneau.

11.8.10

Fructus poetico

Les vers libres sont ceux qui sortent de la pomme en croquant.

21.7.10

Calenques

Maintenant si loin
de mon quotidien,
tu n'es presque plus
qu'un nom
sur mon calendrier,

12.7.10

Bikini bottom

Jouant au cache-cache
Dans les vagues
Gardant le secret de l'univers
Qui attend d'être
Découvert...

2.7.10

Rondeau


Pour le Défi du samedi, sur un tableau par KatyL :


En douce, où vont-ils ? Je ne sais.

Vers un monde de lumière, parfait ?

Partent-ils en pleurant, dans la peur ?

Ou en souriant de leur bonheur ?

Où vont ces enfants ? Je ne sais.


D’un coup d’une plume affûtée

Ils vivraient heureux ! Ou tués

Par un poète cruel et trompeur

En douce.


Figés dans ces couleurs cadrées,

Ainsi. Jolis. Illuminés.

Loin de ce monde las et sans cœur,

Saufs, à l’abri de frayeur.

C’est là où je veux les laisser,

En douce.